Frédéric baudin:
http://www.unpoissondansle.net/rr/0503/index.php?i=4
Jean Bastaire: les gémissements de la création
http://cvxccc.free.fr/spip.php?article147
MICRO-DOSSIER A 07-6 ECOLOGIE ET CHRISTIANISME | |
En plus de vingt siècles d'histoire et de tradition spirituelle, mystique et théologique, le christianisme a d'abord vu la nature comme une création bonne dont Dieu a confié à l'homme l'intendance jusqu'à leur salut commun dans et par le Christ à la fin des temps. Mais à partir du XVIIème siècle la philosophie rationaliste instaure un dualisme méthodologique entre matière et esprit, tandis que le protestantisme et le jansénisme renforcent le hiatus entre nature et grâce. Ceci légitime la désacralisation de la nature et sa prise de possession utilitariste par l'homme, parfois en complicité mais souvent en conflit avec le christianisme.
L'émergence de l'écologie dans la deuxième moitié du XXème siècle a mis le christianisme au défi de renouer avec ses racines.
.
Compte rendu de la réunion-débat du 13 juin 2007
Organisée par l’association X-Environnement
à la Maison des X de 18h à 20h
Préparation et organisation : Jérôme Perrin (X 74)
page
Le débat, préparé et animé par Jérôme Perrin (X74), sera introduit par des exposés de
- Jean Bastaire, écrivain catholique, auteur de plusieurs ouvrages sur la théologie et la mystique 2 chrétienne de l'écologie, dont "Pour une écologie chrétienne" (Cerf, 2004)
- Yvette Veyret, professeur de géographie à l'Université Paris X - Nanterre, qui travaille sur le 5 développement durable, et s'est intéressée en particulier aux différences d'approches de la nature entre les diverses confessions chrétiennes
- Laurent Larcher, historien des idées et journaliste, auteur de "la Face cachée de l'écologie" 9 (Cerf, 2004) où il analyse les dérives de certains courants écologistes et le fonds antichrétien de certaines
thèses qui remettent en cause la place centrale de la personne humaine au nom d'une vision holiste de la nature.
I. Christianisme et Nature Jean Bastaire
Depuis quarante ans circule dans les milieux écologiques une affirmation qui est devenue un lieu commun et que les chrétiens ont accueilli sans réagir et peut-être sans la connaître eux-mêmes. Elle a pour origine un article célèbre publié en 1967 par un historien américain, Lynn White Jr dans la revue internationale ‘Science’. L’auteur met en cause le dogme « judéo-chrétien » comme responsable principal du désastre écologique. Il dénonce dans la Bible une attitude qui « non seulement établit un dualisme entre l’homme et le nature », mais voit l’homme comme «supérieur à la nature plein de mépris pour elle, et disposé à l’utiliser selon son moindre caprice ».
On est consterné par une telle ignorance du christianisme, réduit à ce qu’en pouvaient figurer les bandes dessinées d’un « beatnik » californien des années 60. Mais cette caricature ayant eu une fortune incroyable, il serait temps que les chrétiens rétablissent la vérité. Du même coup, ils pourraient se demander si une telle imagination mensongère n’a pas trouvé en eux ces derniers siècles quelques prétextes pour se développer. L’erreur d’autrui peut être un bon miroir de nos égarements.
Tout commence avec le premier chapitre de la Genèse, qui est l’objet de nos jours d’un radical contresens. Rappelons le verset sur lequel repose l’essentiel du procès et dont on ne cite généralement que la seconde moitié : « Dieu dit : Faisons l’homme à notre image et ressemblance et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ». (Gen, 1, 26).
En d’autres termes, l’homme qui sort des mains du Créateur est présenté comme une image de Dieu dont la vocation est de ressembler à cette image sous peine de trahir le dessein de son Créateur. . Suit une description idyllique des relations entre l’homme dominant et les autres créatures dominées, description qui, illustrant le commandement premier, ne laisse place à aucune violence, puisque tout le monde est végétarien. Où est la tyrannie de l’homme sur les autres créatures ?
La situation change après le péché. Un monde différent apparaît, mais c’est un monde blessé, le monde consécutif à la chute, le monde où l’homme s’est précisément comporté en tyran. Alors règne la loi de la jungle. Elle ne supprime portant pas une solidarité fondamentale entre l’homme et les autres créatures.
Pour s’en convaincre, il suffit de descendre le cours de l’Ancien Testament en s’arrêtant par exemple au Deutéronome qui interdit de faire travailler le bœuf le jour du sabbat, le repos étant dû à tous,, ou de faire cuire un chevreau dans le lait de sa mère, toute maternité étant sacrée. A l’appel de Jonas, l’ensemble des habitants de Ninive, hommes et bêtes, obtiennent le pardon par un jeûne unanime ; Isaïe prophétise la réconciliation parousiaque entre le loup et l’agneau, l’enfant et le cobra.
Ménageons une halte spéciale aux hymnes à la création que sont le psaume 103 et le discours où Dieu déploie devant Job toutes les beautés de la nature. La création rend louange pour louange à son Créateur dans le psaume 148, véritable jubilation cosmique qui emporte montagnes et arbres fruitiers, bêtes sauvages et domestiques, anges, hommes et jeunes filles, dans une même litanie. Elle fait écho au cantique des trois enfants dans la fournaise, chez le prophète Daniel, où défilent en quarante versets toutes les créatures. Au premier siècle avant Jésus-Christ le Livre de la Sagesse, encore plus audacieux, renoue directement avec l’éternité du paradis originel en affirmant : « Dieu n’a pas fait la mort, il ne se réjouit pas de la perte des vivants, il a tout créé pour que tout subsiste » (I ; 13-14).
« Il a tout créé pour que tout subsiste », c’est ce que réalise le Nouveau Testament. Car en effet tout était perdu, à cause de la désobéissance et de la dissemblance de l’homme par rapport à son Créateur. Tout est sauvé par l’obéissance et la ressemblance de Jésus, Dieu fait homme qui réunit toutes choses dans une communion retrouvée pour les remettre toutes entre les mains de son père.
Le salut apporté par le Christ n’est pas anthropocentrique au sens où il serait réservé à l’homme. Il passe par l’homme mais atteint tout l’univers, suivant en cela le chemin par où s’est introduit le péché. Partout où a passé le péché passe aussi la grâce. C’est une dimension de la révélation chrétienne trop souvent minimisée ou occultée, y compris parmi les chrétiens. Sans elle pourtant, on n’a pas la fin de l’histoire entamée avec la Genèse.
Quelle est la fin de la création ? L’apôtre Paul nous l’apprend en termes inoubliables, qui ne laissent rien de l’univers en dehors du salut. Il ne se contente pas de dire, dans l’épître aux Romains, que « toute la création gémit dans les douleurs de l’enfantement, attendant d’être libérée, elle aussi de la servitude et de la corruption pour entrer dans la liberté et la gloire des enfants de Dieu » (8, 19-22)
A l’adresse des Colossiens, il édifie une christologie cosmique dont les siècles qui vont suivre sont loin d’avoir développé toute la splendeur : «C’est en Christ qu’ont été créées toutes choses, en Lui que tous les êtres ont été réconciliés par le sang de sa croix ». (I, 15-20). Et de conclure superbement, à l’intention des Corinthiens ; « Quand toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous ».(I Cor, 15 28).
Ce message chrétien a-t’il été trahi après la mort de la première génération apostolique ? Dés le IIème siècle au contraire, une lutte s’engage entre la pensée orthodoxe, dûment authentifiée par les successeurs des apôtres et les divers courants hérétiques qui tentent d’ouvrir cette pensée aux multiples influences qui parcourent le Proche-Orient et le bassin méditerranéen.
La bataille se concentre sur un point dont dépend en effet l’issue de la lutte et qui est justement le statut accordé à la création ; deux adversaires contestent la position biblique et chrétienne : les platoniciens et les manichéens Pour les uns le monde est une illusion. Les autres considèrent la matière comme un mal. En poussant à l’extrême leurs attitudes, les platoniciens invitent à s’évader de cette prison, les manichéens à la détruire.
Le grand évêque Irénée, au IIème siècle, qui a fini sa vie dans notre pays à Lyon, a magnifiquement opposé à ces hérésies la vision cosmique de l’apôtre Paul pour qui « le Verbe de Dieu est venu de façon visible dans son propre domaine et a été suspendu au bois, afin de récapituler toutes choses en Dieu ». Au IIIème siècle, une Homélie pascale anonyme plante l’arbre de la croix au cœur de l’univers afin que « le grand Jésus redonne vie et force à toutes choses et que de nouveau l’univers entier devînt stable.»
Au VIIème siècle, un autre immense théologien, venu d’Orient à Carthage et à Rome, Maxime le Confesseur, exprime en termes inoubliables le mystère du Christ cosmique, «fin antérieure à toute existence », qui « constitue la plénitude où les créatures accomplissent leur retour en Dieu ». Grâce au Nouvel Adam « la terre entière est sanctifiée en revenant à travers la mort au paradis ». Ainsi se réalise la Pâque cosmique, lorsque « le monde total entre totalement dans le Dieu total ».
Il n’est pas question de nous livrer ici à un parcours, fût-il très bref, de l’histoire chrétienne depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Arrêtons-nous seulement à François d’Assise. Loin d’avoir été en réaction contre son milieu théologique et mystique, François en offre la plus belle illustration. Très tôt après sa mort, les récits se multiplient pour célébrer sa communion avec toutes les créatures et sa capacité extraordinaire à répandre la paix sur toutes choses autour de lui. Il reprend en cela les traits classiques des ermites qui, d’Orient en Occident, d’Isaac de Ninive aux moines irlandais, ont retrouvé auprès des bêtes « l’odeur de paradis ».
S’il a une originalité par rapport à ces anciens moines, il la partage avec son temps où se développe une attitude compassionnelle mûrement réfléchie envers les autres créatures. Qu’il s’agisse des milieux cisterciens, dominicains ou franciscains, hommes et femmes éprouvent une tendresse ontologique, liée à une communauté d’être, devant la souffrance de tous les êtres. La meilleure expression en est donnée par Sainte Gertrude, au XIIIème siècle, qui « s’attache à la dignité d’être que toute créature possède souverainement dans le Créateur » et qui «offre à Dieu en louange éternelle cette souffrance d’un être sans raison. »
Que s’est-il donc passé dans le monde chrétien, pour que, non pas au moment de la Renaissance ou de la Réforme, mais dans le tournant cartésien du XVIIème siècle, un écart étrange se soit dessiné, une «dénaturation» inquiétante des chrétiens se soit produite ? Montaigne continuait de parler de « nos confrères les animaux»..Calvin incluait explicitement «les bêtes brutes, les arbres et les pierres » dans la résurrection finale.
Voilà que Descartes non seulement déchaîne une controverse énorme avec sa thèse de « l’animal-machine », mais cautionne l’idée de «l’homme-maître et possesseur de la nature » au sens d’un tyran qui peut faire ce qu’il veut d’un monde rationnellement transformé en objet. Comme si l’homme, dans le dessein de Dieu, avait jamais été autre chose que le gérant, et non pas le possesseur, le propriétaire de la nature !
Il se réalise alors une déchristianisation du cosmos antérieure à la déchristianisation de l’homme. La première annonce la seconde et les chrétiens ne comprennent pas. Ou plutôt ils croient se défendre victorieusement de cette émancipation sacrilège de la matière à laquelle ils apportent involontairement leur caution par un repli stratégique sur l’âme, la vie intérieure, le primat d’un esprit mutilé de son expression charnelle et tout entier en exil ici-bas dans l’attente du royaume éternel.
La tâche des chrétiens est aujourd’hui de rechristianiser, de rebaptiser la création, de resanctifier l’univers. Là comme ailleurs, la nouvelle évangélisation à laquelle ils sont conviés ne consiste pas en un retour en arrière, une restauration du passé mais un rebranchement de tradition, un ressaisissement de sens qui leur permettent de susciter l’inédit et d’inventer l’avenir, en particulier dans le domaine écologique.
Face à la nature il leur faut retrouver le regard du Christ, Verbe créateur et rédempteur de toute chose, afin de poursuivre et d’accomplir la sauvegarde et le salut de la création. Dans ce but, je placerai mes réflexions sous le signe des trois vertus théologales, foi, charité et espérance.
La foi nous rappelle que la création est l’œuvre de Dieu. C’est pourquoi elle est d’une splendeur incomparable. Devant elle, la démarche spontanée du chrétien est l’admiration, qui engendre non moins spontanément la louange. N’est-ce pas d’ailleurs la démarche immédiate de tout homme vivant en ce monde qu’il soit ou non chrétien ?
La charité ouvre carrière à l’écologie proprement dite, qu’on peut définir comme la science du milieu naturel. Qu’est-ce en effet que se soucier de l’état de la planète, sinon se préoccuper de son équilibre et veiller à sa santé ? Bien entendu, cette inquiétude a pour premier motif notre propre santé. L’homme ne peut vivre sans la terre d’où il est né et où il retourne. Sauvegarder l’univers, c’est d’abord garder sauf et améliorer sans cesse les conditions d’existence que Dieu nous donne.
L’amour du prochain commence par l’amour des hommes nos semblables. Mais il ne s’arrête pas là. La tradition chrétienne a cela d’original qu’elle étend la charité à toutes les créatures non seulement pour le bien de l(humanité, mais pour celui des autres créatures elles-mêmes. . Elle centre certes son intérêt sur l’homme. Mais précisément parce que l’homme est le centre de l’univers, elle n’oublie pas que tout ce qui est fait en faveur de l’homme doit retentir jusqu’aux plus intimes profondeurs de la terre.
On peut affirmer sans risque d’erreur que le meilleur chemin d’expansion de cette charité universelle est une société de modération et non de consommation sans frein. Le consumérisme est la version moderne de la loi de la jungle dont la prolifération sauvage joue immanquablement contre les faibles. Seule la sobriété permet à la charité de circuler et de faire mûrir la paix qui règnera à la fin des temps entre toutes les créatures.
C’est là qu’intervient l’espérance. Car comme l’a dit Jean-Paul II à Viterbe, en 1984, dans un de ses nombreux discours consacré à l’écologie et trop souvent passés inaperçus : « Le monde est destiné à une mystérieuse transformation qui le préparera selon Saint Paul à entrer dans la liberté et la gloire des enfants de Dieu » (Rom. 8. 21). Comment, conclut le pape, « le chrétien pourrait-il échapper à l’influence d’une semblable perspective dans ses rapports quotidiens avec les réalités terrestres qui l’entourent ».
Il ne s’agit plus seulement d’admirer l’œuvre de Dieu et d’en assurer la sauvegarde temporelle pour le bien de tous. L’impératif concerne aussi le salut éternel de l’ensemble de la création. L’espérance ne peut être que globale. Tout ce qui a été créé a été reconnu «bon » par le Créateur dès le premier chapitre de la Genèse. Tout est digne d’être sauvé dans le sillage du salut de l’homme dont aucune autre créature ne peut être séparée. C’est ainsi que les yeux fixés sur la « nouvelle terre » et les « nouveaux cieux » de l’apocalypse, les chrétiens attestent sans broncher que la fin ultime de l’écologie est la parousie.
Yvette Veyret
II. Religion et Nature
Madame Veyret est géographe, elle a beaucoup travaillé en géologie, en géographie physique, en environnement, donc sur des thèmes assez éloignés des questions de religion. Un géographe qui envisage les questions d'environnement se trouve fréquemment confronté aux positions de l'écologie, il est donc amené à réfléchir aux origines des discours, dès lors le sacré apparaît assez vite.
En outre la géographie qui se présente sous de multiples aspects est, entre autres, la science des lieux qui tente de comprendre pourquoi les hommes se sont installés là et pas ailleurs. Les raisons sont souvent "économiques " et non physiques comme le soulignaient les analyses déterministes en vogue au XIXe siècle. En remontant dans le temps, des facteurs sacrés apparaissent aussi. Si les géographes s'intéressent à ces relations entre la nature et le sacré c'est qu'elles permettent de comprendre des modes spécifiques de perception et de gestion de l'espace dans le passé comme aujourd'hui. Ainsi dans certaines cultures la prévention des risques se heurte à une incompréhension des populations qui acceptent le risque et la catastrophe au nom du religieux.
La montagne demeure des Dieux
Dans la perception des lieux en Occident, la filiation est évidente entre les plus anciennes manifestations du sacré et les religions chrétiennes qui suivent, notamment le catholicisme.
Les philosophes de l'Antiquité, souvent des mathématiciens, associent réflexions scientifiques et philosophiques. Au Moyen Age les scientifiques sont aussi des religieux. Pour eux, il ne s'agit pas de dissocier, nature et religieux, il faut au contraire, utiliser l'une pour construire l'autre. Etudier l'univers et la nature permet de rejoindre Dieu considéré comme à l'origine de toute création.
Les montagnes sont considérées comme la demeure des Dieux ou des démons, beaucoup de religions ont leur montagne sacrée, l'Olympe, séjour des dieux en Grèce antique, le Caucase, royaume des Amazones, des Argonautes. Eschyle d'ailleurs évoque les sommets du Caucase en en faisant la prison de Prométhée, mais on peut aussi évoquer le Golgotha, le Djabal Nur où l'archange Gabriel apparaît à Mahomet, le Sinaï où Moïse a reçu les tables de la loi.
La montagne est perçue tantôt comme le centre du monde et de la création, tantôt comme l'intermédiaire entre les hommes et Dieu. Franz Schrader, géographe soulignait en 1898 que "si l'homme primitif a fait de la montagne, le séjour de plus grand que lui, c'est qu'il y voyait comme le trait d'union qui reliait le ciel et la terre, le monde universel au monde humain, l'infini au fini, l'éternel aux choses qui passent. Statues d’archanges d’une
église de montagne.
Importance des lieux d'eau
En poursuivant l'exploration, nous constatons que les lieux d'eau ont des statuts proches. Certains fleuves sont sacrés : qui ne connaît le Gange ? Les sources de la Seine renferment de nombreux ex-voto que l'on apportait pour guérison. Les lieux d'eau parmi les plus intéressants pour notre propos sont les marais, lieux qui inquiètent comme en témoignent les œuvres littéraires de George Sand ou de Guy de Maupassant. Gaston Bachelard oppose l'eau des marais, annonciatrice de mort à l'eau courante, celle du Baptême. Ces zones humides sont aujourd'hui considérées comme des espaces de "vraie nature", peu ou pas transformée par l'homme ; en raison même de cette perception, leur gestion dissimule de nombreux conflits entre les acteurs impliqués.
Les forêts sont présentes dans les contes et légendes celtiques ou Romains. Pour les Chrétiens, elles sont le lieu de retraite des ermites. "Les forêts, écrit Saint Bernard au XIIe, siècle t'apprendront plus que les livres. Les arbres et les rochers t'enseigneront des choses que ne t'enseignent pas les maîtres de la science". Pour les hommes de Dieu la forêt apparaît comme l'équivalent de ce qu'est le désert dans les Evangiles, lieu de perdition, "demeure des mauvais esprits" mais aussi lieu de retraite permettant d'être plus prés de Dieu. La vie contemplative prés de la nature, création divine conduit à Dieu. La perception de la nature et notamment de la forêt est duale, en Occident, la forêt a aussi été considérée comme l'envers du monde civilisé. Défricher ces espaces "sauvages" comme assécher les marais, était faire œuvre de civilisation qui rapprochait de Dieu.
Pour lutter contre les survivances du paganisme, le Catholicisme détourne à son profit les vieilles croyances. Les arbres sacrés, les "arbres à fées" sont dédiés à la Vierge, les forêts sont semées de croix, de calvaires, de chapelles et d'ermitages. Il en est de même pour la montagne, où la toponymie révèle la place accordée aux saints, saint Bernard, saint Gothard… Les chemins de montagnes sont protégés par sainte Marthe, saint Véran…
Quelles conséquences peut-on tirer de cette sacralisation des lieux ?
Les lieux sacrés peuvent être envisagés comme des lieux de communication avec l'au-delà : La sacralité se traduit de manières diverses quant au rapport que les sociétés entretiennent avec ces lieux : mise en défens totale, interdiction de pénétrer en dehors des pratiques ritualisées (cf. les Aborigènes d'Australie).
La récupération de telles conceptions par les sociétés actuelles est parfois inattendue, en témoigne l'exemple de la Bretagne où la pollution générée par les nitrates liés à l'élevage demande à être maîtrisée. Pour parvenir à ce but, des associations de défense de la nature en réfèrent à l'ancienne valeur sacrée des sources!
La religion en face des catastrophes naturelles
Au Moyen Age, et jusqu'au XVIe siècle l'église assimile au mal les forces de la nature. Les saints sont donc là pour contrer le mal. Ainsi, Saint Bernard lutte contre le démon pour installer l'hospice du Grand- Saint- Bernard. Il faut affronter le Diable sous le trait rugissant d'un dragon afin de le chasser dans les profondeurs du Mont Maillet (J. de Vorogine la légende dorée. XIIIe siècle). Pour Jacques de Vorogine la nature est démoniaque. Ses manifestations sont envisagées comme une réponse de Dieu au manquement à la règle religieuse. Jean de Sassenage, évêque de Grenoble, considère que le diable est responsable de la rupture du barrage de l'Oisans en 1219. L'évêque de Grenoble dans son adresse aux paroissiens fait une relation précise du drame, qu'il double d'un appel de fonds, en échanges d'indulgences pour la reconstruction du pont.
Dans la nuit du 24 ou 25 novembre 1948 tout un pan de la montagne d'Apremont au sud de Chambéry s'abattit sur les cinq paroisses qu'elle surplombait dont celle de saint André, les anéantit et fit 5000 morts". Les blocs écroulés du mont Granier constituèrent ce que l'on nomme depuis "les Abymes de Myans". Selon la légende ils s'arrêtèrent