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19 mars 2010 5 19 /03 /mars /2010 15:02
Excellent article sur le monde: ici

Extrait:

"On peut ainsi considérer un paramètre, de nature sociétale et qui touche à la notion même d’obéissance et de rébellion (des candidats comme du public) dans le contexte de notre monde actuel. Car une telle expérience n’aurait pas pu être menée dans des conditions similaires et avec un résultat identique il y a juste vingt ans. A cette époque, comme dans les années 1960, les normes sociales était beaucoup moins contraignantes qu’elles ne le sont aujourd’hui. L’expression d’une exaspération légère dans la vie quotidienne, d’un comportement individualiste ou, simplement, d’une opinion à contre-courant de l’air du temps, pouvait se donner libre cours, sans pour autant que les règles de la vie commune fussent prétendument mises en danger. L’individu pouvait se délester de son stress, de sa charge émotionnelle, à différentes occasions, ce qui le rendait moins perméable à d’autres formes de défoulement bien plus malsaines comme, justement, le concept du Jeu de la mort.

Mais aujourd’hui, on cherche, par tous les moyens, à nous imposer une société lissée, sans écarts, débarrassée de la moindre scorie, une société illusoire du risque zéro, qui reposerait sur un principe de précaution omniprésent et un bonnisme naïf, béat, dont on voudrait laisser croire qu’ils assureraient le bonheur de chacun sous l’œil attentif des caméras de vidéosurveillance. Or, en lieu et place d’un bonheur, c’est un carcan normatif auquel notre société nous oblige à nous conformer à travers une foule de groupes de pression qui œuvrent pour dicter à tous leur vision du monde

(...)

On objectera que nul n’est obligé de participer à ces rites. Ou de partager les opinions politiquement correctes qu’on nous assène. Cependant, tout contrevenant qui viendrait à afficher un refus trop explicite des uns ou des autres se trouverait bien vite l’objet de la réprobation des multiples chapelles qui prétendent vouloir notre bien sans se soucier le moins du monde de nous demander notre avis.

(...)

Car nous sommes entourés de ces pharisiens qui brandissent à tout propos l’étendard d’un intérêt général dont les contours et les enjeux, bien souvent, nous échappent parce que, derrière cette intention a priori louable, se dissimulent surtout des intérêts communautaires, un idéal ascétique ou une psychothérapie personnelle. Comme le soulignait Philippe Muray dans son excellent essai, L’Empire du bien (Les Belles lettres), « [un pharisien, c’est] quelqu’un qui [est] convaincu de se trouver lui-même en état de grâce, donc justifié d’intervenir dans la vie des autres à tour de bras. » Quand il ne pratique pas en outre le cynisme et la tartufferie en s’affranchissant pour lui-même des règles dont il surveille l’application…Cette espèce n’est pas en voie de disparition, bien au contraire; les pharisiens pullulent et l’Etat, qui ne pouvait rêver meilleurs auxiliaires pour surveiller plus efficacement la société, relaie sans difficulté leur pouvoir de prédation sur les libertés, par voie législative ou à grands renforts de messages délibérément anxiogènes, car gouverner par la peur se révèle souvent d’une redoutable efficacité pour obtenir une rassurante docilité. A cet égard, il est piquant de constater l’erreur d’appréciation de George Orwell qui avait situé son roman d’anticipation, 1984, au cœur d’un régime totalitaire, alors que c’est aujourd’hui au sein des démocraties libérales que se développe une « prison radieuse » (le mot est de Philippe Muray) dont les murs se nomment « contrôles comportementaux » et les barreaux, « police de la pensée ».

Lassé de devoir se soumettre à ces strates successives de normes qui réduisent progressivement son espace de libre expression, obligé de se glisser dans la peau du « bon citoyen responsable », condamné à l’état agentique permanent auquel le réduit la nouvelle norme sociale qui considère tout écart comme une déviance, l’individu ne trouve plus guère d’exutoire au stress et aux multiples frustrations qu’il rencontre au quotidien. Sa faculté de révolte disparaît du paysage et, avec elle, l’esprit critique, indispensable pour assurer l’autonomie de la personnalité et les principes de jugement. Qui, aujourd’hui, ose encore protester avec détermination contre les lois hygiénistes ou contre la violation du principe de présomption d’innocence qu’ont introduit les radars automatiques ou la loi HADOPI ?

Dès lors, comment un « moniteur », quotidiennement habitué à obéir à la pression sociale, pourrait-il refuser de se soumettre, dans le cadre du Jeu de la mort, à l’ordre imbécile qu’il reçoit d’une forme d’institution – la télévision – qui, depuis longtemps déjà, relaie fidèlement les messages normatifs sans les critiquer ? Et, du côté du public, puisqu’il ne peut plus enfreindre les légers tabous d’antan, sous peine de culpabilisation et de lynchage savamment orchestrés, l’individu se tourne vers un tabou bien plus puissant, qu’il exprime dans un voyeurisme gratuit consistant, comme on le lui propose, à se délecter de la souffrance de son semblable, sans se poser de questions – la mort comme ultime divertissement.

Louis-Ferdinand Céline l’avait fort justement exprimé : « Quand nous serons devenus moraux tout à fait au sens où nos civilisations l’entendent et le désirent et bientôt l’exigeront, je crois que nous finirons par éclater tout à fait aussi de méchanceté. On ne nous aura laissé pour nous distraire que l’instinct de destruction. » Un message qui devrait réveiller les consciences et inciter à réveiller notre regard critique sur le monde."

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